Le cortège funèbre avançait avec lenteur. Une lenteur démesuré qui ajoutait à l'acte, un côté presque divin. Mais il n'y avait rien de divin ni de religieux à enterrer sa femme. Pour Alger, c'était une torture, son propre chemin de croix. Il resserra ses gants en écailles de magyar à ses mains. Le regard vide de toute émotion, il observait la scène, une main posée sur l'épaule de sa fille, bien trop jeune pour perdre sa mère. Alger restait là, impassible, le regard vide. Macaria était un tout dans sa vie et aujourd'hui, elle l'avait quitté, laissant un sentiment d'amertume et de rancune dans l'estomac de son mari, devenu veuf trop tôt. Une pluie fine commença à tomber et tous les sorciers autour d'eux se mirent à ouvrir des parapluies, mais pas Alger. Il se moquait de la pluie, de la foudre et même, de sa propre fin. Il avait perdu Macaria, il lui semblait difficile de faire pire, sauf si on lui arrachait Melisandre, son unique enfant. Tout chez elle lui rappelait sa douce femme, ses yeux, son visage, son teint olivâtre ainsi que sa curiosité et son esprit espiègle. Non, Alger ne pouvait pas la perdre elle non plus. Il resserra doucement l'étreinte de sa fille contre lui, comme s'il craignait qu'elle s'envole elle aussi vers des contrées lointaines. La pluie avait l'avantage de laver les mauvais souvenirs et on ne pouvait pas distinguer entre les gouttes d'eau qui martelaient le visage fatigué de Alger, lesquelles étaient des larmes. Bientôt, la foule commença à s'éloigner et le sorcier laissa sa fille rejoindre ses grands-parents pour être seule avec la pierre tombale de sa femme. Cela marquait la scission, la fin entre elle et la vie qu'on lui avait arraché. Macaria aurait du vivre encore longtemps si une monstruosité ne lui avait pas pris la vie. Un loup-garou dont Alger ignorait le nom, mais lui, brillant auror avait juré qu'il la vengerait, quoiqu'il lui en coûte. C'était égoïste vis à vis de sa fille, mais Alger était belliqueux et on lui avait pris l'amour de sa vie. Il avait besoin d'assouvir sa vengeance avant qu'elle ne le consume. Il trouverait cette créature et la tuerait sans le moindre remord. Peu importe si derrière l'animal se trouvait un homme. Alger s'en moquait parfaitement. La pluie avait cessé, mais le ciel de Tinworth, petit village semi-sorcier à l'est de Londres restait gris. Alger sortit sa baguette et fit un léger cercle pour faire apparaître une couronne de roses blanches, les fleurs favorites de Macaria. Enfin, le sorcier ferma les yeux, pour se rappeler une dernière fois de ses souvenirs heureux avant de rentrer dans une vendetta sans nom.
ci-gît
Macaria Aldrige née Forbes
épouse aimée, mère dévouée, amie fidèle
1974 - 2012
Le sortilège filait droit sur le jeune Aldrige. Il ne bougeait pas, figé telle une statue de sel. Soudain, il leva sa baguette et fit apparaître un charme du bouclier. Le sort rebondit et s'écrasa sur le mur voisin, frôlant un tableau qui se mit à injurier les deux duelliste.
« diffindo ! » lança le sorcier sur son adversaire. Celle-ci devait admettre que le sort était trop rapide pour elle, elle eut à peine le temps de se protéger, mais lâcha sa baguette, vaincue. Ses boucles blondes pendaient en dehors du chignon parfait qu'elle se faisait tous les matins, lui donnant un autre aspect, celui d'une ravissante jeune femme qui allait bientôt passer ses examens.
« maudit sois-tu, Aldrige ! » tonna-t-elle alors que leur professeur de duel se mit à applaudir et offrit à la maison Serpentard, une dizaine de points pour la victoire d'Alger qui avait cet éternel sourire charmeur sur le bord des lèvres.
« ne sois pas mauvaise perdante, Cora » siffla-t-il avant de descendre de l'estrade. L'intéressée le fusilla du regard avant de s'éloigner dans la foule d'élèves. Alger essaya de la rattraper, mais il n'y parvenait pas. Cora avait l'art et la manière de disparaître dans l'ombre et elle connaissait bien mieux les passages secrets de l'école. Elle savait se cacher. Quand Cora ne voulait pas être vue, elle savait comment s'y prendre. Ce n'est que le soir, avant le repas que Alger retrouva la sorcière. Il l'attendait devant l'entrée du grand hall et elle s'arrêta quand elle le remarqua, mais il n'était pas question de se cacher cette fois. Alger lui avait déjà attrapé le poignet.
« pourquoi tu as essayé de te cacher ? » Cora ne répondit pas, elle se contenta de le bousculer pour traverser. Ils étaient amis malgré l'année d'étude qui les séparaient, mais ils étaient également comme chien et chat. Alger l'observa et lâcha d'une voix claire et forte
« tu sais, tu étais mieux les cheveux détachées qu'avec ton chignon où tu ressembles à une religieuse » Cora se stoppa de nouveau et tourna la tête vers le sorcier. Si ses yeux avaient été capables de tirer des balles, ils l'auraient fait sans l'ombre d'un doute.
« tes cheveux commencent à devenir rouge, Aldrige, serais-tu en colère ou simplement nerveux ? » et elle se dirigea vers sa table. Alger quant à lui, s'observa dans un miroir et fronça les sourcils. Il avait laissé ses émotions prendre le dessus et ses cheveux étaient d'un rouge tomate symbolique, passion et damnation, elle le rendait fou.
Le bal des fondateurs était un bal qui avait lieu tous les ans et à une date différente. Une grande tradition à l'école, au même titre que la célébration de Halloween. Alger peigna avec soin ses cheveux et avait même laissé du poil poussé à son menton pour donner un côté jeune homme qui devenait enfin un adulte alors qu'il n'avait que dix-sept ans. Il ajusta le col de son costume d'un blanc maculé et sortit des cachots pour rejoindre la grande salle qui cette année, était à l'honneur de Helga Poufsouffle. Pour cela, la salle était recouverte d'or et de rubans noirs. Des plantes avaient été posés un peu partout et une ambiance chaleureuse s'y dégager. De nombreux élèves étaient déjà présents, dont Cora qui portait une robe d'un rouge flamboyant, se mariant parfaitement avec ses mèches blondes qu'elle avait détaché en une cascade. Cela attira immédiatement l'attention du jeune homme qui s'approcha et fait une courte révérence.
« m'accorderais-tu une danse ? » demanda-t-il comme le charmeur qu'il était. Cora ne pouvait pas lui résister et elle avait attendu si longtemps ce bal pour lui dire les sentiments profonds qui l'animaient qu'elle accepta. Main dans la main, ils se dirigèrent vers la piste de danse. Être dans les bras de Alger Aldrige était unique, mélange d'un sentiment de protection et d'excitation. Il la fit tourner, vriller et la porta haut en l'air. Autrefois, les Aldrige étaient de sang-pur et avaient fréquenté les plus grandes familles de ce monde. Alliés ancestraux des Black, la Réforme avait eu raison d'eux et ils avaient mêlé leur sang, mais ils gardaient une très bonne réputation parmi les sang-purs pour des mêlés. Ils avaient également conservé leur noblesse dans leur comportement et tout en Alger débordait d'aristocratie. Un plaisir pour Cora qui descendait d'une des familles qui avaient muselés les sang-purs lors de la Rupture. Quand l'orchestre cessa de jouer, Alger ramena Cora dans la foule et lui tendit un verre de jus de citrouille. Celle-ci le prit, mais le posa. Elle n'avait qu'une envie, l'embrasser et laisser ses émotions exploser. Elle approcha son visage du sien, mais Alger tourna la tête et elle lui embrasse la joue.
« Cora... Non, ce n'est pas possible. » dit Alger, embarasé. Ses cheveux tournaient légèrement au vert émeraude. Désemparée, la sorcière l'interrogea du regard.
« J'ai accepté d'être le petit ami de Macaria Forbes » une sorcière de sang-mêlée que Cora ne connaissait que trop bien. Macaria était idolâtrée par beaucoup pour sa beauté et ses talents comme potionniste, au même titre que Alger. Mais s'il était avec elle, pourquoi avoir fait dansé Cora !? Et pourquoi ne pas être avec Macaria ? Où était-elle d'ailleurs ? Cora la chercha soudainement du regard et Alger avait deviné ses pensées.
« Elle n'est pas encore arrivée. » cette fois, ses cheveux viraient au jaune.
« Ah parfait ! Je comprends. Tu voulais faire danser la pauvre petite Cora avant que ta princesse arrive pour te donner bonne conscience car tu sais que personne ne l'a invité ? » « Ce n'est pas... » commença Alger, mais Cora ne lui répondit pas. Elle lui lança son verre de jus de citrouille au visage
« Tu es un monstre d’égoïsme Aldrige ! » dit-elle, les larmes aux yeux. Les autres élèves observaient la scène d'un oeil curieux, certains se moquaient de la situation et d'autres chuchotaient. Cora se dirigea vers la sortie, aussi vite que possible, les larmes coulant sur ses joues. Elle devait se cacher loin d'ici. Elle bouscula soudainement une sorcière plus grande qu'elle et entourée d'amie.
« Fais attention et regarde où tu vas ! » lança-t-elle. Cora la dévisagea. Il s'agissait de Macaria et de sa bande de poules qui gloussaient partout. Cora ne répondit pas, elle se redressa et disparue dans un couloir.
« Papa ! Papa regarde ! » s'écria la petite Melisandre en courant vers son père. C'était l'été et ils avaient décidé de se rendre sur les côtes vendéennes. Des vacances offertes à la petite Meli qui venait de souffler ses septième bougies et elle allait enfin voir la mer, une entité mystérieuse et pleine de richesses pour une jeune sorcière. Mais dans son agitation, la petite fille aux longs cheveux que sa mère prenait soin de tresser, manquait de trébucher. Fort heureusement, son père la rattrapa dans ses bras pour éviter la chute et les bobos douloureux.
« Attention Melisandre, combien de fois t'ai-je dis de ne pas courir comme ça ? » l'interrogea Alger en la portant dans ses bras. Melisandre se mit à pouffer de rire avant de montrer sa main. Dessus, il y avait une petite coccinelle avec deux points noirs seulement et qui s'agitait en allant d'un doigt à l'autre de ceux de Melisandre.
« Elle allait se noyer dans le seau d'eau... Je l'ai sauvé ! » annonça la petite fille, très fière d'elle. Alger observa l'animal et embrassa la joue de sa fille.
« C'est très bien ma chérie. Et sais-tu quel âge elle a, ton amie la coccinelle ? » Melisandre fit non de la tête et regarda l'insecte avec une curiosité avide. Comme l'innocence de l'enfance, elle accueillait chaque savoir avec une grande joie.
« Elle a deux points noirs, elle a donc deux ans. C'est un bébé. » Melisandre ouvrit grand les yeux en observant sa coccinelle. Alger la porta plus haut jusqu'aux branches d'un arbre.
« Dis lui au revoir et laisse la se poser sur cette branche. » La petite fille fit une mine boudeuse, elle ne voulait pas laisser l'insecte, mais elle obéit et l'insecte se glissa sur la feuille avant de s'envoler. Melisandre s'exclama d'un "oh" d'admiration avant de voir que l'insecte se posa sur le bout de son nez. La sorcière se mit à rire et la coccinelle reprit son vol vers la cime des arbres.
« Ça chatouille ! » Alger embrassa à nouveau la joue de son enfant et la reposa au sol. Aventurière, Melisandre repartit au fond du jardin. Alger sentit alors les bras de sa femme l'envelopper et celle-ci se serrer contre lui.
« Elle grandit si vite » lança Macaria. C'était la stricte vérité et Alger devait l'admettre, demain, sa fille serait une femme. Il aurait souhaité figer le temps et qu'elle reste toujours cette petite fille romanesque et garçon manqué.
« Elle sera toujours mon bébé » dit-il avec conviction. Macaria eut un sourire en coin et ajouta
« Même quand les garçons voudront l'embrasser ? » Alger tourna vivement la tête vers sa fille qui l'embrassa pour l'empêcher de parler avant de reculer le visage et de se diriger vers sa chaise longue pour reprendre sa lecture.
« Tu es une traitresse » dit-il en se mettant à rire.
Les portes du Chadron Baveur venaient de claquer. Alger entrait à l'intérieur du vieux pub presque vide à minuit passé et commanda un whisky pur-feu immédiatement avant de s'installer à une table loin de la foule. Il se moquait des regards sur sa personne. Il n'était pas là pour plaire. L'ancien auror qui avait posé sa démission le mois dernier ne cessait de traquer la monstruosité qui avait ôté la vie à sa femme. C'était sa quête perdue et il savait qu'il devait réussir, sinon, il serait perdu. Quand on lui apporta son verre, Alger le vida d'un trait pour en demander un second. Un loup-garou était intelligent et contrairement aux croyances populaires, il était difficile d'en retrouver un. Alger avait écumé le nord de Londres, là où on avait retrouvé sa femme, mais toujours rien. Il songeait à arpenter l'ouest du pays désormais. Sa prochaine étape. C'est alors qu'une grande silhouette prit place face à lui. Alger leva les yeux vers l'individu et le reconnu aussitôt. Un léger rictus se dessina sur ses lèvres. Il connaissait que trop bien ses cheveux blancs, cette longue barbe et ses lunettes en forme de demi-lune.
« Bonsoir, Alger » lança la voix douce de Dumbledore. L'homme ne répondit pas immédiatement. Il détailla un long moment le sorcier
« Que venez-vous faire ici, Albus ? » demanda-t-il enfin. Albus lui lança un sympathique sourire avant de commander un thé.
« Je sais quel sentiment t'anime, Alger et il va finir par te ronger, tu vas tout perdre » Aldrige se mit à froncer les sourcils et lança un regard glacial au vieil homme
« Vous ne savez rien » et il ajouta
« Que peut-on m'arracher de plus ? » Albus conservait son éternel sourire et sa voix douce, impassible
« Ta fille, Melisandre » La mâchoire de Alger se durcit et il serra vivement son verre dans sa main, tremblant.
« Renonce à te venger, tu n'es pas un criminel. Tu ne l'as jamais été » dit Albus
« Je dois combler un vide, au fond de moi... » avoua le sorcier et termina son verre
« Comble ton vide en enseignant les potions. J'ai un poste vacant pour toi et tu as toujours été très doué, un génie même » Alger dévisagea un moment Albus. Plaisantait-il ? Croyait-il vraiment qu'enseigner à des gosses allait lui faire oublier sa vengeance ? Alger éclata d'un rire froid. Mais peut-être que Dumbledore avait raison. Ce soir-là, Alger rentra chez lui et trouva sa fille endormie sur le canapé à l'attendre. Il déposa une couverture sur elle et l'observa longuement. Si on lui avait dit qu'une semaine plus tard, il installerait ses affaires dans son bureau à Hogwarts, il ne l'aurait pas cru et pourtant.